La lettre du millésime 2021
Millésime 2021 par Jean-Michel Garcion
Voici un millésime qui a nécessité l’énergie de toutes les femmes et tous les hommes qui ont contribué, à travers toutes les étapes des stades phénologiques de la vigne puis par la suite au chai, à amener dans nos caves des raisins mûrs et sains afin qu’ils puissent être transformés en moût puis en vin. Rien a été simple et pas grand-chose ne nous a été épargné mais vous savez aussi tous que c’est aussi ce type de millésime qui me fait vibrer. C’est à travers l’adversité de Dame Nature que nos capacités d’adaptation sont remarquables. Le dynamisme et surtout notre réactivité, nos choix et décisions ont été à toutes étapes cruciales. Les résultats dépassent même certaines de nos espérances, franchement vous allez sous aucun doute être enthousiasmé par la qualité intrinsèque de nos crus de la rive droite et de la rive gauche.
METEO
Mais avant d’aller plus loin dans la description de chacun d’entre eux, revenons sur les caractéristiques climatiques du millésime, de ces aléas, de ces conséquences sur la vigne et de ces conséquences économiques et financières. Il est pour moi aussi utile d’aborder cet aspect, certes moins glamour et poétique que de parler de notre passion d’élaborer des Grands Vins dans les Grands Terroirs, mais inéluctablement et étroitement lié.
L’automne 2020 et l’hiver qui l’a suivi ont été très contrastés. Novembre a été très doux et humide avec une température moyenne supérieure de 1,5°C. Décembre a été le mois le plus pluvieux des 20 dernières années. En janvier un très léger pic de froid mais globalement l’hiver a été chaud et humide avec des écarts de températures en février supérieurs de 3,5°C à la moyenne saisonnières. Rendez-vous compte, à la fin de mars, le cumul de pluviométrie depuis octobre est de 49% supérieur aux normales de saison et pour être plus précis, de décembre à la mi-février, il a plu presque tous les jours. L’effet combiné de cette humidité et de cette montée de température va engendrer un débourrement précoce à la fin du mois de mars !
Cependant, les dernières nuits de mars sont froides et le ciel est clair...
Nos merlots sortant de leur léthargie hivernale pointent les prémices des sarments à travers le coton jusqu’alors protecteur.
Dans la nuit du 27 au 28 mars nos vignes de bas de coteaux sont fatalement touchées…
Aucune possibilité de lutter…
La gelée était noire, c’est-à-dire que les températures étaient froides aussi bien au sol qu’en altitude ; le ciel était clair et le soleil a brillé avec véhémence dès les premières heures du jour.
Les brulures ont été cinglantes et à peine la saison débutée, nos rendements étaient hypothéqués.
Mais on ne s’arrête pas là et de nouveau dans les nuits du 7 et 8 avril les dégâts de gel sont répertoriés sur tous nos vignobles à des niveaux divers. Margaux est fatalement impactée, tout comme notre propriété de Tayet à Flaujagues. Saint-Emilion sur les hauteurs s’en sort bien (Tour Baladoz est épargné, ½ ha à La Croizille est touché) et contrairement à 2017 (les gelées étaient blanches, (la température au sol plus faible qu’en altitude)), Lacombe Cadiot, notre propriété en Bordeaux dans le Médoc, est indemne.
Les conséquences économiques sont déjà actées et la saison débute seulement. Franchement, ce métier est parfois si ingrat et hasardeux. S’il peut nous offrir des moments de joie, de partage, de bonheur aussi exceptionnels, il sait aussi nous plonger dans de profonds désarrois. Le gel, s’il a marqué fortement le vignoble bordelais, a aussi touché l’ensemble du vignoble français et étranger (Italie, Espagne).
Mai est aussi un mois froid (-1,8°C vis-à-vis des normales saisonnières). Pendant ce mois de mai plutôt froid, il pleut pratiquement tous les jours. La vigne végète, quelque asphyxie racinaire, le vignoble est plutôt jaunissant…ce qui va changer de tout au tout à la fin mai, jusque mi-juin. Enfin une période chaude et sèche qui tombe à point nommé pour encadrer la floraison. La vigne va pousser de façon tonitruante comme si elle voulait rattraper son retard, ce qu’elle a fait.
Par la suite juin est arrosé abondamment. Juillet et août offrent une température de 1°C inférieur aux moyennes. Si juillet est un peu humide, août est relativement sec.
LES ACTIONS DANS LA VIGNE
En ce qui concerne la phénologie, la mi-floraison est constatée sur les vignes no-gelées en moyenne vers le 3 juin (ce qui correspond à la moyenne des 20 dernières années). 2020 en comparaison, fut un millésime très précoce (10 jours d’avance) et 2011 encore plus. La mi-véraison s’est déroulé autour du 8 août en général pour les merlots et a été un plus étalée sur les cabernets et sur les vignes gelées.
A la description des caractéristiques climatiques vous imaginez bien que la pression cryptogamique a été à son paroxysme tout au long de ce cycle. C’est bel et bien là où nos actions dans nos vignes, nos décisions ont été prépondérantes pour braver ces conditions hostiles. D’importants travaux en vert ont été initiés (effeuillage, échardage, épamprage, dédoublage) énormément de travail de prophylaxie afin d’aérer au mieux la zone fructifère, favoriser le passage de la lumière sur les raisins et mieux activer ainsi le processus de la maturation. Des choix exigeant et forts couteux (beaucoup de personnel à mettre à disposition et rapidité d’exécution).
De mon point de vue, c’est à ce moment que nous avons sauvé notre millésime. Il était hors de question de céder à la fatalité, jamais, jamais je céderai sans avoir tout mis en œuvre pour renverser la tendance. Grâce aux efforts de tous à la vigne, à toutes nos mains valeureuses (Jérôme, Coralie, Muriel, Mathieu, Jacky, Nicola, Jean-Yves, Eliane et Audrey) au professionnalisme de nos cadres (Thierry et Jérôme), de leur engagement personnels au quotidien (pas que de la théorie, mais de la pratique, d’un tracteur à l’autre), les raisins sont arrivés dans des conditions sanitaires et de maturités exceptionnelles aux chais. Cédric, Thierry, Izabella aidé de nos précieux collègues Jérôme, Isaac, Chrystophe, Wladys, Muriel, ont tous été prépondérants dans la réalisation et la mise en valeur du travail fait en amont.
LES VENDANGES
Le plus important fut tout de même la détermination de la date de la récolte car ces quelques jours de gagnés par rapport au temps ont fait la différence. La maturité phénologique est cruciale, la libération de la matière colorante et sa quantité démontrent assurément que nous étions dans le vrai. Nous avons entamé nos récoltes à Flaujagues sur les parcelles les plus sensibles le 20 septembre et clôturé celles-ci au même endroit le 26/09. Entretemps, Margaux puis nos Bordeaux du Médoc ont été récolté en premier, à Saint-Emilion nous avons attendu début octobre pour lancer la récolte. Grâce à nos moyens d’interventions (mécaniques et humains) nous avons récolté hors pluie, choisissant les journées les plus belles pour vendanger.
LA VINIFICATION
La vinification s’est déroulée sans heurts, l’extraction a été rapide et les couleurs finales étaient obtenus après moins de 48 heures de macération. Les fermentations ont été très actives, aidées par des PH bas. Les macérations ont été globalement assez courtes (2 à 3 semaines environ) parfois moins suivant les méthodes et le résultat souhaités. Les écoulages se sont étalés sur 3 semaines et les FML furent très rapides à Margaux et Flaujagues, un peu plus capricieuses à Saint-Emilion et Ludon. Deux voire trois soutirages successifs ont libérés les vins des lies les plus épaisses et les mises en barriques seront toutes effectives avant Noël.
LA DEGUSTATION
Les vins se présentent aujourd’hui sous leurs meilleurs aspects, moins mordants qu’après la FA ; la FML a joliment arrondi les acidités (le niveau d’acide malique était particulièrement élevée cette année), caractéristique plutôt des années fraîches. Les couleurs sont très soutenues, la violine caresse le bord de nos verres, les nez sont vifs, débordants de fruits rouges et fruits des bois. Ce panier de fruits est étoffé par un joli gras avant que les tanins mûrs, encore un peu mordants à ce stade de l’élevage, viennent envelopper la finale. Les longueurs sont surprenantes et la fraîcheur en finale caractéristique de nos vins et de ce type de millésime en particulier.
REMERCIEMENT
Avant de conclure, merci à toutes nos équipes techniques (vigne et chais) mais je ne peux achever ce récit sans remercier nos équipes à la logistique (Domi, Sophie, Dusti, Pierre) administratives et commerciales et oenotouristiques (Hélène, Armelle, Marie, Gaëlle, Camille, Sylvie, Florentine, Mathilde, Justin, Sarah, Matthieu, Audrey, Delphine). Toutes et tous sont des maillons indissociables à notre réussite collective. Aucune et aucun ne peuvent le nier, la présence de chacun et de chacune ne peut être associer qu’à celle des autres.
Je vous invite rapidement à venir tremper vos lèvres dans nos calices et découvrir les caractéristiques envoutantes et surprenantes de ce millésime que nous avons dompté.
Bonne dégustation à tous ! Attention… A vos verres…. Trinquez !